Une vieille connaissance

Bon. Après avoir été mené ici de force, Eynar s'ennuyait déjà. Avant de péter un câble malgré-lui, il sortit, dans le but de prendre l'air. C'était un besoin essentiel pour lui.

Le lendemain, l'amirale lui avait prévu un entraînement, d'après ce qu'il avait compris.

Marcher dans ces couloirs le plongeaient dans divers souvenirs. Vrai que les règles étaient très strictes, et lui qui vivait un peu dans cette philosophie du "les règles sont faites pour être transgressées", il n'avait pas pu s'empêcher de faire des siennes...
Quand il était à peine entré dans l'académie, il avait déjà son air baba-cool. S'il avait accepté l'uniforme conventionnel, en revanche, Eynar avait refusé dès le départ de se faire couper les cheveux...qui étaient déjà un peu longs à cette époque, lui descendant jusqu'en-dessous de ses épaules. Il en avait fait baver l'administration, en retardant le plus possible, et faisant exprès de ne pas prendre de rendez-vous pour régler ce détail.

Si bien qu'à force de provoquer, cette administration avait forcé les choses, et il s'était presque retrouvé avec ce qu'il appelait "la coupe de repris de justice", qu'il détestait beaucoup. Même s'il n'était pas forcément un adepte de l'apparence, il n'avait jamais aimé les cheveux trop courts presque rasés. Il trouvait que c'était une claque dans la figure pour ceux qui n'en avaient plus à cause de graves maladies et qui désiraient en avoir.

Pendant des années, Eynar avait maintenu ce combat débile, exprès pour taper sur le système des dirigeants de l'académie. Quand il n'arrivait pas à s'imposer par la parole, Eynar usait les nerfs de ses opposants, en général. Donc au lieu d'entretenir, il laissait pousser à chaque fois, parvenant chaque fois à ravoir des mèches d'une quinzaine de centimètres en bataille avant qu'on ne le bassine à nouveau comme quoi ce n'était pas réglementaire.

Donc là, ouais, il trouvait plutôt ironique que cette fois, plus personne ne pourrait lui faire de remarques là-dessus. Il pourrait se balader avec une culotte sur la tête que personne ne pourrait plus rien lui dire. Et depuis 5 ans, il profitait très bien du fait de pouvoir ravoir des cheveux longs. Pas trop non-plus, mais il assumait ! Déjà qu'un typage ethnique comme le sien, ça ne courait pas les rues, du coup, il jouait un peu là-dessus jusqu'au bout...

En marchant dans les couloirs, il tomba sur un petit intitulé sur une porte qui indiquait "Jack Washinton". Un sourire s'afficha sur le visage d'Eynar. Cela lui rappelait de bons souvenirs. Sûrement même les meilleurs qu'il avait eu ici. Son maître de stage. Son formateur. Celui qui l'avait formé au métier d'Ingénieur.

Bourru, mais qui faisait du très bon travail, Eynar avait beaucoup appris de lui. Au moins, ce mec-là ne s'attardait pas en explications superflues, et ça lui avait très bien convenu. Malgré son hyperactivité, il avait réussi à suivre ses enseignements, même si à cause de ça, Jack avait du le reprendre plusieurs fois pour qu'il puisse se concentrer à nouveau...

Eynar n'hésita pas. Il poussa la porte, envoyant direct :

- Hey hey, salut vieille branche !

Il se demandait s'il le reconnaîtrait, tiens !

2h de réparation sur une frégate de classe B et 2 de plus à rafistoler des droïdes d'entraînement... J'étais crevé. À force de retaper continuellement tout le matériel, ça ne ressemblerait plus à rien. Surtout ces fichus vaisseaux. J'étais plutôt du genre à prendre du temps pour faire un travail propre mais mes collègues ne prenaient pas tous cette peine... Parfois on était à la limite du rafistolage au chatterton. Elle était belle l'armée concilienne... Enfin depuis que je supervisais les équipes ça filait droit et s'il fallait rester 3h sur une arrivée photonique on le faisait, pas de problème. Oh sûrement qu'on me traitais de vieux con, mais ça n'avait guère d'importance. Ce qui comptait c'était que le boulot soit fait.

Rien ne valait un bon petit café après une journée comme celui-ci... Et je ne parlais pas du jus de chaussette bon marché de la base. Régulièrement j'allais m'acheter un petit truc bien serré dans le magasin du coin. C'était sûrement plus cher que celui de la base, mais au moins ça avait du goût. Tout à coup, j'entendis quelqu'un poussé ma porte... Qui que soit cet hurluberlu ce n'était pas le mom...

- Hey hey, salut vieille branche !

Lui ? Ici ? La surprise était de taille !

- Yasashi ! Le meilleurs des bons à rien que j'ai eu à former ! Mais qu'est que tu fous là bon sang ?!

L'un des meilleurs élèves que j'ai eu à former... Bon ce n'était pas toujours facile mais il avait du potentiel, c'était indéniable. Il avait donné sa démission à la suite d'une mission qui avait mal tournée. Une sale histoire à l'époque... De ce fait, c'était vraiment curieux qu'il revienne traîner dans les parages.

Il parut surpris, en même temps, c'était l'effet voulu.

A ses yeux, il n'avait pas changé. Toujours le même. Eynar l'avait beaucoup apprécié, et déjà d'une nature très créative à la base, autant dire qu'apprendre le métier d'Ingénieur l'avait passionné. Pas pour rien qu'il s'était mis à la mécanique, en fait.

Il s'approcha, ripostant :

- Ah, sûr que tirer au flan avec toi était un vrai défi sacrément difficile à relever !

Bon, pas qu'il avait forcément cherché à le faire, car trop passionné, justement, et même si parfois, Jack avait été rude, Eynar n'avait jamais riposté parce qu'il trouvait simplement que c'était normal. Aimant le travail bien fait également...en fait, il ne devenait insolent réellement que lorsqu'il trouvait une situation injuste.

Puis il était lui-même devenu Ingénieur...

Une fois à sa hauteur, il marqua une pause, Jack venait de lui poser une question. Et décidément créatif et compagnie, Eynar ne put s'empêcher de lui répondre...d'une manière non-conventionnelle.
Il eut un sourire amusé, avant de se reculer un peu, et faire une sorte de mise en scène :

- Je rentrais chez moi avec un nouveau chèque dans la poche, et au moment où je commençais à être peinard, ma sonnerie retentit ! J'ouvris la porte et là...

Et là, il prit un ton caricaturalement "mélo-dramatique" (il ne faisait pas du théâtre mais faisait pas mal de mise en scène dans ses diverses passions !) :

- Une femme apparut dans l'encadrement de ma porte. Cheveux au vent, luisante dans son armure qui mettait en avant son roulement de hanches...Autant te dire que je ne m'attendais pas à une telle apparition soudaine dans ma vie ! Alors en tant qu'homme que je suis, et donc pas du sexe le plus évolué, j'ai tout de suite essayé de la séduire, et...

Courte pause, toutefois, il eut un petit rictus amusé :

- Elle n'a pas bien aimé.

Bon, dans les faits, ce n'était pas ça du tout, mais avec le recul, il trouvait cette version inventée de l'histoire plus amusante que la vérité !

Alors reprenant le ton mélo-dramatique :

- Pour se venger, elle me lia les poings, et me condamna à aller sur une planète inconnue au profit d'une organisation que j'ai voulu quitter à tout jamais !

Bon. Fin de l'histoire. Il en avait peut-être entendu parler, alors il se remit à sa hauteur, s'accoudant, concluant, normalement cette fois :

- Alors me voilà ici. En attendant mon sort. Comme quoi, faut faire gaffe, avec les femmes. C'est redoutable. J'avais l'intention d'aller redécouvrir la ville lorsque j'ai vu ton nom sur la porte, alors je n'ai pas pu m'en empêcher. Et toi, alors, qu'es-tu devenu, depuis ?

Sa dernière question était plus dite d'une manière motivée et curieuse !

Hmmm tout s'expliquait... Arvick l'avait donc intégré à son équipe pour sa fameuse mission top secrète. Je ne lui fit même pas l'affront de lui demander pourquoi lui plutôt qu'un autre. Pour moi, son ex-formateur, la réponse était évidente. Mais c'était tout de même assez culloté d'aller chercher directement un civil sans même évaluer les ingénieurs sur la base...
Cette histoire n'était pas nette du tout...

- Alors me voilà ici. En attendant mon sort. Comme quoi, faut faire gaffe, avec les femmes. C'est redoutable. J'avais l'intention d'aller redécouvrir la ville lorsque j'ai vu ton nom sur la porte, alors je n'ai pas pu m'en empêcher. Et toi, alors, qu'es-tu devenu, depuis ?

- Et crois moi y'a pas pire qu'Arvick ! Mais bon si tu veux tenter la drague avec elle je te préviens, faudra te munir d'un pic à glace pour la dérider. T'as plus de chances de survivre à 1 contre 100 contre une bande de Icare déchaîné... Bah, quant à moi rien de spécial, je erre sur la base et je rafistole ce qu'on me demande... Je n'ai pas remis les pieds sur un champs de bataille depuis un petit moment maintenant. Et toi du coup, tu as fait quoi pendant ta retraite anticipée à part laisser pousser encore ton atroce tignasse ?

Je ne pu m'empêcher de lâcher un bon vieux rire. Les cheveux d'Eynar c'était tout une histoire à l'époque où il était apprenti... Perso je m'en foutais un peu. Si je lui faisais une remarque c'était souvent pour le taquiner mais les pontes de la base ne voyaient pas les choses comme ça. Je n'avais jamais tellement compris sa volonté de garder ses cheveux longs... Personnellement j'avais toujours apprécié les avoir courts même avant mon entrée dans l'armée... Mais j'avais eu beau lui en vanter les bienfaits, pas moyen. Il savait être une tête de pioche quand il voulait. Mais bon, vu mon caractère, je ne pouvais guère lui jeter la pierre.

Bon. Apparemment, il semblait s'être confronté à quelqu'un de redouté dans toute la base. Eynar sourit, malicieux :

- Oh, je vois. Bah je relève le défi. Tu verras, un jour, j'arriverai à lui arracher un rictus sans pic à glace !

Comme toujours, sortir du lot, faire son "bah puisque c'est comme ça, je vais faire le contraire juste histoire d'emmerder !", même si à ce niveau, ça restait gentil !

Puis Jack lui raconta un peu sa vie, ce qu'Eynar écouta avec plaisir. Disons que ça lui permettait de rendre le tableau dans lequel il se sentait beaucoup moins sombre ! Parce que bon, il aurait bien voulu éviter de se retrouver enrôlé de force à nouveau...et dans le fond, oui, il se sentait frustré, énervé, et déçu. Bref, pas très bien, en somme.

Il eut toutefois un rire face à la remarque de Jack sur sa manière de s'entretenir.

- Je te rebute ? C'est bien, comme ça, quand je serais libre, je ne te manquerai pas !

répliqua-t-il tout d'abord, riant de bon coeur avec lui. Il prit aussi le temps de lui répondre :

- Oh, bah, génial. Je profite de la vie, quoi. J'avais le plaisir de reprendre toutes les activités que j'appréciais, et que j'apprécie encore, même s'il n'y en a qu'une seule qui m'offre un chèque : la mécanique ! Et je te le dois !

Méthode de travail, comment voir le fonctionnement, concevoir, astuces, bref, tout ce qu'il avait pu apprendre. Et développer ensuite au fil de l'expérience qu'il se faisait, et les nombreux tests qu'il avait pu se faire afin de pouvoir se perfectionner.

- Sinon, ouais, ça se compose d'un tas de chose : dormir, manger, boire, buller sur la plage ou sur le canapé, danse, musique, chant, dessin, cuisine, jeux, mécanique, constructions, fêtes, escrime, et divers arts martiaux parce que ça défoule, et ainsi de suite, selon mes envies. Ça occupe.

Lui qui était trop débordant d'énergie, ça l'occupait pas mal ! Il aimait en fait tout ce qui était créatif et qui faisait bouger. Il appréciait être bon vivant, alors il en profitait à fond, peu importait ce qu'on pourrait en penser. Il y rencontrait des tas de gens, ce qui lui plaisait aussi beaucoup, car appréciant surtout partager, et communiquer. Bien sûr, il ne pouvait pas faire tout ça en une journée, disons qu'il s'organisait plus ou moins selon ses envies, parce qu'il n'aimait pas la routine non-plus, alors comme ça, il appréciait chaque chose ! Etant incapable de rester trop longtemps sur un même truc...il variait.

Quelque chose lui plaisait, il le faisait, point. Surtout que certaines de ces activités étaient quotidiennes, donc il n'avait pas vraiment besoin de se les calculer, car c'était des automatismes, comme cuisiner, par exemple. Bref, il aimait aussi les choses simples...

Ça avait l'air idiot comme ça, mais quand on avait passé 10 ans dans une base militaire, on appréciait tout de même les choses faites "Maison", disons ! Puis fallait dire que ses parents, bien que d'ethnies différentes de base vu leurs physiques très contrasté, genre une blonde aux yeux bleus et un brun aux yeux bridés, lui avaient pas mal transmis malgré eux leurs différences, deux façons de vivre différentes, qui s'exprimaient par diverses choses, dont la façon de s'alimenter, d'apprécier les bonnes choses. Il avait donc un peu beaucoup attrapé ce virus-là, pour la peine ! Pour lui, c'était quelque chose de tout naturel. Turbulent et intenable comme il était, surtout enfant, il avait appris chaque fois que sa mère préparait les repas, simplement parce que ça l'occupait. C'était devenu des moments de jeu, et du coup...voilà où ça en était.

Et...son attention fut rapidement détournée, un peu malgré-lui, comme souvent :

- Sur quoi étais-tu en train de bosser ? Rien d'urgent, j'espère ?

Non, parce que s'il le retardait avec leurs blablas...Eynar s'en voudrait un peu, tout de même !

- Je te rebute ? C'est bien, comme ça, quand je serais libre, je ne te manquerai pas !

Il n'avait pas perdu son sens de l'humour. Tant mieux, bien souvent les types qui quittaient l'armée ne le faisait pas pour des raisons joyeuses et finissaient bien souvent aigris. Mais ce n'était pas le style d'Eynar.

- Oh, bah, génial. Je profite de la vie, quoi. J'avais le plaisir de reprendre toutes les activités que j'appréciais, et que j'apprécie encore, même s'il n'y en a qu'une seule qui m'offre un chèque : la mécanique ! Et je te le dois !

Une vie simple, tranquille 7-8h de travail par jour et un petit chèque à la fin du mois. Un choix respectable, et bien compréhensible d'une certaine façon. On était pas tous fait pour le job de militaire et plus vite on le comprenait, moins on était malheureux après.

- Ce que tu as tu le dois à ton travail et à ton talent p'tit gars. Mais si ce que je t'ai appris a pu te servir, tant mieux...

- Sinon, ouais, ça se compose d'un tas de chose : dormir, manger, boire, buller sur la plage ou sur le canapé, danse, musique, chant, dessin, cuisine, jeux, mécanique, constructions, fêtes, escrime, et divers arts martiaux parce que ça défoule, et ainsi de suite, selon mes envies. Ça occupe.

Toujours à se disperser dans tous les sens. C'était à la fois sa plus grande force et sa plus grande faiblesse. Mais c'était aussi ce qui justifiait très certainement le fait qu'on l'ai rappelé. C'était un inépuisable touche-à-tout et il ne manquait pas de ressources, même face à l'inconnu.

- Sur quoi étais-tu en train de bosser ? Rien d'urgent, j'espère ?

- Personnellement ma journée est terminé, et c'est pas dommage ! Je répare surtout les raffiot que nous déglinguent les Icare et les droïdes d'entraînement que nos recrues et nos soldats s’occupent de me mettre dans un état pas croyable. Si je gagnais une unité par kilo de ferraille réparée sur ces dernières années, je pourrai prendre ma retraite tout de suite !

Il eut un petit rictus nerveux face au compliment. Surtout parce qu'il ne savait pas trop comment réagir. Il ne voyait pas les choses de la même manière que Jack, et surtout...

- Mais...ça vient bien de quelque part. De toi. Avant, je n'y connaissais rien. Je concevais les choses comme un gamin conçoit un château avec des légos. Tu m'as tout appris. Les méthodes, les techniques, les outils, la logique d'une conception, la mécanique, quoi. Une fois tous ces outils en main...ben j'ai fais mon bout de chemin. Ma fierté résidait dans le fait d'arriver un jour au même niveau que toi. Ce qui est arrivé. C'était génial à ce moment-là. J'aime pas mal le travail d'équipe. C'était sympa.

Sûr que tant qu'il était apprenti, ce qui l'avait principalement motivé était cet objectif d'y aller à fond dans ce que Jack lui demandait de faire, et il était toujours content quand il se recevait ses commentaires quand il était satisfait. Même si bien sûr, il y avait eu des erreurs.

Pour sa part, il n'avait jamais voulu remplacer Jack, et ça ne s'était pas fait. Il s'en était très bien contenté. Jusqu'à cette mission qui avait mal tournée...

- Alors...merci.

Le tout dit avec un petit sourire. Le fait de se faire appeler "P'tit Gars" lui fit drôle, mais il trouvait ça mignon. Mais ce qui le faisait plus "rire" là-dedans, c'était...

- Et nous n'avons que douze ans d'écart, j'te rappelle.

Mine de rien, il ne pouvait pas s'empêcher de se demander ce qu'il aurait pu faire d'autre, s'il n'avait pas du maîtriser ce domaine dans lequel il avait appris à travailler...après tout, le reste, ce n'était que passion qui ne lui aurait pas rapporté quelque chose d'une façon régulière.

Et puis surtout, c'était encore quelque chose qui demandait une certaine concentration. Alors lui qui avait ce sacré soucis de se disperser facilement dans tous les sens, ça l'avait aidé à lutter contre ça également ! Et donc à améliorer ce côté, car ça se travaillait, ça pouvait se guérir...en grande partie. La belle preuve maintenant où il parvenait à suivre pas mal de conversations normalement, contrairement à avant où il oubliait très vite de quoi on parlait, car déconcentré par autre chose. Alors au fil du temps, Eynar avait développé ses propres astuces afin de pouvoir gérer et s'en sortir...même si ces astuces paraissaient idiotes, au moins, elles fonctionnaient.

Puis quand il revint sur Jack, celui-ci lui annonça qu'il semblait être content que sa journée soit terminée.

- Je vois...ils sont encore bien actifs, apparemment...et qu'en est-il des Maraudeurs ?

- Et nous n'avons que douze ans d'écart, j'te rappelle.

C'était vrai. Mais pendant quelques années il avait été mon élève... Et quelque part le fils que je n'avais pas eu. Bien sûr je ne regrettais rien. J'étais un célibataire endurcis, infligé mon caractère de cochon à une femme ou a des gosses aurait été du vice profond. Mais le lien que j'avais eu avec Eynar pendant sa formation était pour moi ce qui s'en rapprochait le plus. Alors oui j'avais pris le plis de l'appeler comme ça.

- Je vois...ils sont encore bien actifs, apparemment...et qu'en est-il des Maraudeurs ?

- Ils nous pourrissent la vie... Comme les Icare. Mais à une autre échelle. Ce ne sont pas ceux qui nous abîment le plus de vaisseaux mais dans leur genre ils sont pas mal casse-pied aussi. Je te bombarderai les bas-fond d'Atlas avec un croiseur moi, ça débarrasserait les mondes de cette vermine.

Personne n'était dupe. On savait où ils se terraient, tous les rats avaient leur tanière. Mais les huiles se désintéressaient pas mal de cette racaille. On leur envoyait de temps en temps les exaltés histoire de dire "coucou, les chefs c'est nous, arrêtez vos conneries" et puis deux semaines plus tard on avait un truc du style "Attaque de la société machin-chose", "Enlèvement d'un tel...", "Cambriolage massif dans le quartier je-ne-sais-quoi" dans les gros titres. Coupez une tête, il en repoussait deux autres. Œil pour Œil, c'était comme ça qu'ils la jouaient... Mais bon avec les Icare qui faisaient sauter des bâtiments ou prenaient des otages... On était pris en tenaille. Alors à côté de ces voyous à la petite semaine, les missions prioritaires c'était pour les Icare. Mais en attendant les maraudeurs prenaient de l'ampeleur... Impossible de rééquilibrer le rapport de force. À croire que c'était fait exprès.

En y repensant...oui, sa période préférée, où il s'était le plus éclaté, ce fut lorsqu'un poste d'ingénieur lui fut proposé, même si ça nécessitait une formation avant afin de pouvoir acquérir les bases nécessaires. C'était disons en découvrant la chose qu'Eynar avait bien ressenti le fait que...c'était fait pour lui, bien plus que de jouer au bon petit soldat.

Enfin, "bon", ça dépendait des moments, parce qu'il avait évidemment eu plusieurs blâmes ou autre pour l'avoir ouverte un peu trop parfois. Disons que ça, ça n'avait pas changé : quand il n'était pas d'accord ou trouvait quelque chose d'injuste, il le disait. Il n'allait pas jusqu'à la mutinerie, mais il disait ce qu'il pensait sans flancher ! Il faisait parti de la catégorie de ces personnes très agaçantes qui étaient capables d'user vos nerfs à bout pour se faire entendre, peu importe les corvées ou autre que vous leur donnerez, même les plus pénibles.

Bon, lui, il était toujours resté poli dans ces instants malgré-tout, disons qu'il avait toujours respecté l'uniforme et faisait les choses de mauvaise grâce, mais il contestait juste. Et des fois...trop fort, justement. Et encore plus depuis qu'il avait découvert que plus on se montrait exaspérant genre "ça ne m'atteint même pas", mieux ça fonctionnait. Quand la personne en face s'énervait ou commençait à perdre son calme, il savait qu'il avait "gagné" la bataille.

Bref, Eynar s'était vraiment rendu compte qu'au final, la vie de soldat, ce n'était pas fait pour lui à ce moment-là...il était trop rebelle pour ça. Ça ne lui correspondait pas, sinon, il n'y aurait pas eu tous ces soucis.

En revanche, une fois dans le camp des Ingénieurs...plus aucune prise de tête. Du moins, de sa part. Jack avait enseigné son travail, et lui, il avait marché droit. Quand il lui disait que ça n'allait pas, Eynar opinait, parce qu'il savait avec le recul que c'était lui, qui se trompait, dans cette période d'apprentissage. Et que c'était lui qui faisait donc les choses parfois de travers. Donc, qu'il n'avait rien à dire. Qu'il devait prendre en compte et c'était tout.
Les débuts où il n'y connaissait rien, qu'il découvrait, son soucis d'hyperactivité s'était déclenché à nouveau, à cause de l'excitation du moment, se trompant une fois sur deux sur des outils dont pourtant, il se souvenait de l'utilité et des noms quand on le lui demandait.

Cette période au début lui avait pas mal rappelé son enfance sur Océan, quand il vivait la même chose, bien qu'en pire, car au Concil, il était adulte et avait déjà les réflexes pour recentrer sa concentration !
Sur Océan, enfant, il apprenait encore...combien de fois son père ou sa mère lui demandaient une chose, et qu'en cours de route, leur fils leur ramenait autre chose à la place, en pensant tout à fait bien faire. Ce qui n'était absolument pas une étourderie parce que lorsque l'un d'eux lui demandait à ce moment-là : "Eynar, qu'est-ce que je suis en train d'attendre, là, vu la situation ?", en le forçant à se rappeler derrière ses "je ne me souviens plus !", il voyait la situation, comme par exemple une table et un plat fumant, ça lui permettait de se repérer à nouveau et de se rappeler de ce qu'on lui avait demandé de ramener...

Les débuts en tant qu'Ingénieur s'étaient déroulés un peu pareils. Puis il avait fini, afin de ne plus perdre autant de temps à chaque fois, par trouver ses propres astuces afin de ne pas perdre l'attention sur son sujet. Sa méthode la plus basique était par exemple de se répéter en boucle le nom de ce qu'il devait chercher jusqu'à le trouver. Quand il devait bricoler ou réparer un truc, il se le notait.

Puis une fois sorti de sa période d'apprentissage, il s'isolait de tout élément perturbateur avec de la musique dans les oreilles. Aujourd'hui encore, il le faisait. Les casinos étaient des lieux où il y avait énormément de bruit, de passage et de machines. Beaucoup d'éléments pouvant l'empêcher de travailler correctement. Du coup, il avait pris l'habitude de s'isoler dans une sorte de bulle afin de pouvoir travailler pleinement sans problème, en se coupant un peu du monde dans lequel il était afin de ne pouvoir penser qu'à la machine qu'il devait réparer.

Jack semblait agacé quand ils commencèrent à parler des terroristes...Eynar soupira un peu. Il avait vraiment du mal à comprendre le concept de ces gens. C'était quelque part à cause de leur présence un peu omniprésente qu'il avait gardé, même après son départ du Concil, sa photo-lame. En espérant bien sûr ne pas avoir à s'en servir. Ce qui, malheureusement, risquait de se faire, avec cette mission...

D'ailleurs, à ce propos, quelque chose lui vint à l'esprit, un peu soudainement :

- Au fait...ils ne t'ont rien proposé, à toi, pour cette fameuse mission ? Parce que si ça se trouve, ils sont venus me forcer la main à cause de toi !

Bien sûr, avec un léger rire. Même si dans le fond, ben ça ne l'amusait pas du tout d'avoir été entraîné de force là-dedans ! Et il n'en voudrait certainement pas à Jack. Ce n'était pas lui qui lui avait forcé la main, après tout.

Et finalement, là, ils parlaient de terroristes, et voilà qu'Eynar revenait sur cette histoire de mission ! Il fallait presque s'attendre à ce qu'il reprenne sur les terroristes après ! Mais bon, ça, c'était habituel, avec lui...et il ne le faisait pas exprès, le pire !

- Au fait...ils ne t'ont rien proposé, à toi, pour cette fameuse mission ? Parce que si ça se trouve, ils sont venus me forcer la main à cause de toi !

Ah ce don qu'il avait de sauter du coq à l'âne... Le pire c'était de s'imaginer tout ce qui s'était passé dans sa tête pour en arriver là ! Eynar c'était un super-ordinateur ambulant, en une seconde il était capable de penser à une quantité pas croyable de trucs. Pratique pour les maths dont il était coutumier mais ça faisait aussi qu'il avait tendance à rapidement se disperser... J'avais souvent dû le rappeler à l'ordre plusieurs fois, mais jamais méchamment. On m'avait prévenu de son problème d'hyperactivité au début de sa formation et je savais parfaitement que ce n'était pas volontaire... À force j'avais fini par prendre ses petites bévues avec humour et j'avoue que j'étais souvent amusé lorsqu'au lieu de ma ramener un tournevis, il me ramenait la visseuse !

- Moi ? Ah ! Tu plaisantes ?! Je suis un bricolo moi, pas ce qu'il faut pour ce genre de mission. Tu me donnes des outils je te répare un vaisseau dans une limite de temps raisonnable... Met moi en face d'une technologie extraterrestre et c'est la fin. Et qui de mieux pour penser comme un extraterrestres qu'Eynar Yasashi au fond ?

Nouvel éclat de rire. Mais derrière la boutade il y avait un fond de vérité. Cet esprit un peu tordu, ce grain de folie, cette inventivité c'était ce qu'il fallait pour pouvoir se dépatouiller avec une technologie complètement inconnue. Nous les ingénieurs on était trop formaliste. On connaissait nos engins, on savait bidouiller dans tous les sens mais... Combien d'entre nous pouvait appréhender des système d'une autre civilisation ? Pas moi en tout cas.

Jack répondit avec une certaine dose d'humour qu'Eynar suivit avec un sourire. Bon, il ne semblait pas être vexé, il donnait même plutôt l'impression du contraire !

L'histoire des vaisseaux, ça ne l'étonnait pas du tout. Quand il avait vu tout ce que Jack touchait quand il découvrait le métier, il s'était passionné du coup pour ça. Et s'était donné pour objectif de savoir lui aussi réparer des vaisseaux, admiratif de la dextérité de Jack à ce niveau-là.

Eynar s'était mis à fouiller la bibliothèque de Céos afin de s'instruire sur tous les mécanismes possibles des différents vaisseaux, simplement pour tenter d'être capable, comme Jack, de repérer une erreur dès le premier regard. Bon, bien sûr, les mots étaient exagérés, mais il avait surtout dévoré plein de livres en plus de la pratique pour ça. Pour pouvoir être capable comme lui de trouver les problèmes et de savoir les réparer. Même si à ce niveau, il s'était rapidement rendu compte que c'était surtout l'expérience qui forgeait...il s'y était mis très sérieusement, dans ce corps de métier !

Enfin...il n'en fit rien, mais il ne put s'empêcher de surprendre une pensée qui ressemblait à un soulagement comme quoi Jack ne faisait pas parti de cette mission qui semblait dangereuse...peut-être parce qu'Eynar redoutait de revivre ce qui lui avait fait quitter l'armée : des collègues et un capitaine qu'il avait apprécié. Il savait que ça faisait parti des risques du métier, d'où le fait qu'il ne l'avait pas ouverte. Mais entre le savoir et le vivre, au final, il y avait une grande différence...et c'était là qu'il avait su que ce n'était pas fait pour lui. Et qu'il s'était pour la peine détaché, voulant mettre à profit son savoir-faire ailleurs.
Jack était un homme qu'il appréciait pas mal, alors quelque part, qu'il soit là loin des risques et surtout, qu'il en soit content, ça lui convenait parfaitement !

- Ouais, bon, souvent, j'suis déréglé, ok, mais tu aurais pu en profiter pour me réparer, non, toi qui est le talentueux réparateur de vaisseaux !

lui avait-il riposté toutefois, amusé après s'être en quelques sortes fait surnommer d'extra-terrestre.

- Puis bon, comme tu m'avais dit, il y a longtemps...un boulon, ça reste un boulon, hein. Après, ce que ça peut produire, tout dépend de la manière dont c'est placé et utilisé. Puis bon...quelque part, une technologie, c'est quoi, à la base ? Un appareil. Et un appareil, ça fonctionne à partir de quoi ? D'objets. Ou plus précisément d'un assemblage d'objets, d'un assemblage plutôt spécifique qui donne un résultat. Le truc, c'est que personne ne comprend le fonctionnement de cet assemblage. Mais quelque part, c'est justement le boulot de tout Ingénieur, de comprendre ces assemblages. Je pense donc que c'est à portée de tous. Très sincèrement. Peu importe la provenance. Tu n'es pas d'accord ?